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Prophètes et Partisans du Compromis - Orson Scott Card

Prophets and Assimilationists - by Orson Scott Card - Translated into French

Prophètes et Partisans du Compromis

par Orson Scott Card

Un numéro récent de Sunstone [1] rapportait quelques réactions négatives lors d'une allocution de Boyd K. Packer sur les funérailles. Le point principal de ces réactions était que les autorités générales n'ont pas à se mêler de domaines où elles n'ont pas l'habitude d'intervenir.

"Ce n'est pas qu'il ait parlé des funérailles" semblent-ils dire. "Ce qui nous ennuie, c'est qu'il nous a demandé de changer notre façon d'opérer. Pire même, ces changement donneraient à l'Eglise plus de contrôle sur nos vies."

Vraiment, s'il y a un thème qui caractérise toute la carrière d'Elder Packer en tant que prophète, voyant et révélateur, c'est celui-ci: il persiste à parler de sujets que peu d'autres sont prêts à aborder, et il persiste à essayer de nous persuader de changer nos habitudes de façon à nous rendre encore plus différents du monde qui nous entoure. Il s'attend à ce que nous nous transformions en tant que peuple, et se revêt de son autorité pour nous enseigner comment y arriver.

Laissez-moi vous donner un exemple plus détaillé. Il y des années, je faisais partie d'une assemblée à BYU [2] qui écoutait Boyd K. Packer leur parler de l'art Mormon. Tout d'abord j'étais enthousiasmé -- quelle autre autorité générale avait donné à l'art au sein de l'Eglise plus qu'une brève mention?

Mais bientôt l'enthousiasme céda à la consternation. Proposait-il vraiment que les petits poèmes minables d'Eliza R. Snow et Orson Whitney soient traités aussi sérieusement que la véritable grande littérature?

Et que dire de sa blague sur les artistes cyclothymiques ayant plus de "tempérament que de dispositions intellectuelles." [3] J'ai été outré. Il se peut qu'il soit un apôtre, mais que savait-il sur les artistes? Que connaissait-il sur l'art?

Les années passèrent. Je m'arrêtai d'écrivailler et décidai de devenir un véritable écrivain. Je poursuivi mes études dans deux universités et commençai à faire des découvertes sur le monde de la littérature en Amérique.

Tout d'abord accidentellement puis plus tard à dessein, je choisis mon style de narration et adoptai le genre de la science fiction et de la fantaisie. C'est le seul genre qui permet à un écrivain de créer des mondes fonctionnant selon des règles différentes: j'avais besoin de cette possibilité d'étrangeté, de ce contrôle sur le milieu, afin de raconter des histoires qui me semblaient importantes et vraies.

La science fiction et la fantaisie sont, ensemble, la dernière incarnation de la plus ancienne tradition en littérature. De Gilgamesh et l'Odyssée aux romances médiévales et au folklore que chaque communauté dans le monde adapte à ses propres besoins, les histoires que les gens ont aimées et racontées de nouveau contiennent toutes de l'étrangeté, de la magie, l'immanence de pouvoirs normalement au-delà de l'atteinte des êtres humains. Ma conception du fonctionnement du monde a été façonnée principalement par Joseph Smith, et je trouvais impossible de raconter mes histoires les plus vraies sans étrangeté, sans l'immanence de la puissance.

Mais mes professeurs, à quelques rares exceptions près, méprisaient la science fiction et la fantaisie. J'appris rapidement qu'ils ne les comprenaient pas non plus, ne savaient même pas comment les lire. Cependant, je savais bien, moi, comment lire et comprendre les oeuvres auxquelles ils accordaient de la valeur, et j'ai vite découvert qu'au coeur de chacune de leurs oeuvres les plus précieuses, il y avait une graine d'étrangeté. Mais cette petite parcelle de romance était si enterrée dans les détails du réalisme, si camouflée par un style flamboyant et prenant qu'elle ne pouvait être extraite de l'ensemble qu'au prix d'un travail patient. Cela en valait rarement la peine.

Pourquoi insistaient-ils à camoufler leurs histoires? Pourquoi méprisaient-il et déploraient-ils des histoires faciles à comprendre? Leurs histoires n'avaient rien gagné et avaient perdu beaucoup. Leurs lecteurs, et à travers eux leur capacité d'influencer le monde, étaient peu nombreux et en nombre décroissant.

Mais il y avait une compensation pour les hommes de lettres, une observation qu'ils valorisaient plus que les histoires de leur soi-disant littérature, l'observation suivante "les gens qui peuvent lire de la littérature sérieuse sont plus fins, plus intelligents et plus importants que ceux qui lisent les choses faciles." Leur genre littéraire, par sa propre inaccessibilité pour des lecteurs sans formation faisaient d'eux une élite.

Ils ont pris possession des sections anglaises des universités Américaines et de ce bastion ils essaient -- et réussissent souvent -- de rendre honteux ceux qui lisent une histoire rédigée assez clairement pour être comprise par un lecteur inexpérimenté. Vous savez comment nous nous excusons pour avoir lu des ouvrages que nous aimons: "Oh, j'ai seulement lu ces livres romanesques/de mystère/de fantaisie pour m'échapper un moment" ou "je lis seulement cette sorte de chose à la plage/en avion/quand je suis malade."

L'établissement littéraire académique enseigne aux étudiants à n'accorder de la valeur qu'aux textes qui doivent être expliqués avec attention et décodés par ceux qui ont été ordonnés à la haute prêtrise de la littérature. Ils ont persuadé la plupart des Américains que n'importe quel texte qui ne requiert pas leur aval est bon pour la poubelle.

Toutes les discussions et les conflits au sein de l'établissement littéraire académique sont simplement des efforts pour s'élever plus haut dans leur hiérarchie. Par exemple tout le trouble occasionné par ceux qui dissèquent la littérature peut se résumer en quelques concepts clairs, mais, en masquant les idées d'un vocabulaire intimidant, intraduisible, circ;ulaire, se rapportant à lui même "ceux qui dissèquent" ont pu passer pour une prêtrise supérieure -- des Gnostiques qui prétendent connaître un Mystère, qui leur donne pouvoir sur ceux qui ne connaissent pas les incantations appropriées. C'est un amas de confusion destiné à ne pas être compris.

J'ai lu les théories critiques de l'établissement littéraire académique et ai réalisé que, sauf quelques exceptions, elles étaient sans valeur, seulement bonnes à décoder un certain petit groupe d'histoires. Leurs théories étaient incapables à expliquer les fonctionnements de la plupart des histoires écrites à travers l'histoire de l'humanité - aussi ont-ils rejeté ces écrits les déclarant sans valeur.

Mais j'ai vu que chaque société humaine de tous temps crée et dévore les histoires comme étant leur moisson indispensable; nous ne contemplons pas nos histoires, nous les utilisons aussi sûrement que notre corps utilise de la nourriture. Toute théorie critique excluant les histoires mêmes que la plupart des gens préfèrent est sans valeur. Et n'importe quelle histoire destinée à satisfaire les exigences de cette théorie sans valeur n'aurait pas de signification pour la plupart des gens. "La littérature sérieuse" en Amérique est consacrée à créer des "aliments" sans grande valeur nutritive. Ces "aliments" peuvent être servis dans de la porcelaine fine, ils ne sont quand même que ce qu'ils sont, et, après cinquante ans ils deviennent défraîchis.

Il ne s'agit pas uniquement de littérature. Chaque forme d'art Américain, excepté le cinéma, est passée par le même chemin. On enseigne à de jeunes peintres et sculpteurs à mépriser l'art qu'un public inexpérimenté pourrait aimer. On enseigne aux jeunes musiciens à composer de la musique délibérément anti-mélodique, anti-rytmique, inaccessible. On encourage les jeunes poèts à croire qu'une communication claire est l'ennemi, non l'essence de leur art.

Le résultat en est que les jeunes artistes, qui étudient dans les universités américaines et croient ce qui leur est enseigné, en sortent incapables d'avoir de l'effet sur les Américains en général. Leur art a de la valeur seulement auprès d'un public blasé qui est généralement inapte à éprouver des émotions ou à changer de point de vue sauf au niveau le plus superficiel, ce qui revient à dire que leur art est gaspillé.

Quand finalement je compris cela, je me suis rappelé l'allocution de Boyd K. Packer aux étudiants et à la faculté de la section des arts à BYU. Bien que sa rhétorique fut quelquefois offensante et ses exemples peut-être non convaincants, son message fondamental n'était pas seulement vrai mais la chose la plus importante que des artistes Mormons aient pu apprendre: les standards artistiques du monde sont directement hostiles, non seulement à l'Eglise, mais aussi à l'art lui même.

Beaucoup de ceux qui n'avaient pas apprécié le discours d'Elder Packer on dit qu'il voulait faire de notre art une propagande pour l'Eglise. C'est absurde. Il nous avertissait que nous étions en train de faire de notre art une propagande pour les élitiste du monde. Il nous prévenait que si nous croyons leurs mensonges, nous serions incapables de produire de l'art de quelconque valeur. Et il avait raison. Et personne ne lui a prêter attention -- en tout cas presque personne, et c'était bien trop peu. La section anglaise de BYU s'enorgueillit bien souvent de sa capacité à persuader ses étudiants écrivains à accepter les valeurs de l'établissement littéraire académique.La section de musique à BYU récompense encore la plupart des jeunes compositeurs dont la musique n'a pas de pouvoir d'émouvoir une audience inexpérimentée. Seules les sections art et théatre honorent occasionnellement leurs étudiants et enseignants qui créent des oeuvres à même d'avoir de l'effet sur une assistance de volontaires. Toutes ces années après le discours d'Elder Packer, BYU ne le prend toujours pas très sérieusement.

A vrai dire, Elder Packer avertissait les artistes Mormons du danger du compromis. Faire des compromis avec le monde est le plus grand danger auquel l'Eglise en Amérique ait à faire face. Il y a une énorme pression sur nous afin que nous nous conformions aux valeurs de la nation qui nous entoure. Nous nous sommes affaiblis sous cette pression, et il y a un grave; danger qu'elle nous détruise, non en nous détruisant l'Eglise mais en effaçant les frontières entre l'Eglise et le monde. La Grande Apostasie n'est pas survenue parce que les membres ont quitté l'Eglise, elle est survenue quand l'Eglise a adopté les valeurs, les philosophies et les pratiques du monde.

Quant au récent discours d'Elder Packer sur les funérailles, il est stupéfiant que quiconque ait pu imaginer qu'il était inapproprié pour un apôtre d'insister sur la participation étroite de l'Eglise aux rituels se rapportant à la mort. Même l'évêque en charge des services funéraires n'enlève pas le contrôle à la famille. L'évêque -- qui connaît bien la famille -- est plus à même de répondre aux désirs de celle-ci et aux besoins de la communauté réligieuse dans laquelle elle vit, bien plus qu'un étranger rémunéré pour s'occuper du service. A chaque enterrement Mormon auquel j'ai assisté, la famille passe la plupart de son temps à complaire aux attentes du service des pompes funèbres. Donnons-nous une plus grande autorité aux Pompes funèbres qu'à l'évêque Mormon?

Trop souvent la réponse est oui. Cependant Elder Packer n'a pas oublié que le Mormonisme est un mouvement révolutionnaire, que c'est notre travail de renverser ou démolir les institutions et les philosophies du monde. Il nous rappelle que l'Evangile s'applique à chaque partie de notre vie, que l'Esprit de Dieu ne peut être remis dans un petit compartiment et rester vivant en nous. Il a osé penser et parler de la façon dont les Saints doivent changer afin de mieux correspondre à l'Evangile.

Il est le plus souvent critiqué par ceux qui préfèrent changer les idéaux et les pratiques de l'Evangile jusqu'à ce qu'il soit possible d'être "Mormon" sans avoir à éprouver de l'embarras d'être différent des non-Mormons qu'ils admirent. Ces partisans du compromis rêvent de réconcilier le monde et l'Eglise en changeant l'Eglise pour se conformer au monde.

Si nous refusons de laisser un apôtre nous enseigner comment agir face à la mort, si nous refusons de laisser un apôtre nous enseigner comment nous devrions concevoir et utiliser notre art, alors en quel sens le soutenons-nous en tant qu'apôtre? Et si, ayant rejeté cet apôtre, nous nous tournons vers les pompes funèbres et les élitistes anti-religieux pour nous enseigner ces mêmes sujets, alors en quel sens restons-nous des Saint des Derniers Jours?

Les partisans du compromis s'excusent en pleurnichant, "Sûrement, il n'y a rien de mal à apprendre la vérité de différents sources. Après tout, même les apôtres n'ont pas le même avis quelquefois." Mais ils prennent rarement la peine de choisir parmi les enseignements des apôtres; ils se saisissent plutôt de n'importe qu'elle déclaration apostolique qui semble justifier leur adhérence aux vues du monde. Les partisans du compromis agissent invariablement selon la présomption que le monde "sait mieux" que l'Eglise.

Sonia Johnson plaçait sa confiance dans les doctrines du féminisme plus qu'elle n'estimait ses relations avec les Saints; son excommunication a seulement formalisé son revirement de fidélité envers une alliance avec Jésus-Christ, revirement au profit d'un concurrent.

Les hommes d'affaires qui dressent leurs énormes manoirs sur les collines de Salt Lake City et des vallées de l'Utah aiment leur argent plus qu'ils n'estiment l'alliance de la consécration faite au temple; ils se battent pour résister à la solidarité avec les pauvres, oubliant que la richesse, non la pauvreté, est la maladie fatale du monde.

Les professeurs qui enseignent à leurs étudiants de ne pas créer de l'art pour les masses prisent l'établissement littéraire académique plus qu'ils n'estiment le combat qu'il faut mener pour amener l'homme à la vie éternelle; les étudiants qui les croient sont effectivement réduits au silence pour la vie dans un monde qui a faim de leurs voix.

Les parents qui enseignent à leurs enfants de ne pas fréquenter ni épouser des Saints fidèles et dignes mais d'une autre race se fient aux opinions de leur bigots de voisins plus qu'ils n'estiment le commandement du Christ d'être "Un."

Sachant que ces valeurs sont contraires à l'Evangile, beaucoup de ces partisans du compromis cherchent à défigurer l'Evangile et à nous tromper en nous amenant à penser que l'Evangile soutient les valeurs dégénérées qu'eux mêmes ont apprises du monde. Si jamais ils réussissent, alors nous, l'Eglise, le sel de la terre, aurons perdu notre saveur.

l'Eglise, en tant que communauté, est loin d'être parfaite, mais son imperfection vient de son échec à vivre selon les idéaux de l'Evangile, pas de sa réussite dans quelques peu de domaines à se différencier du monde. Le status quo au sein de l'Eglise n'est pas très bon, mais le status quo en dehors de l'Eglise est bien pire. L'Eglise a besoin de se transformer mais les vrais révolutionnaires dans l'Eglise sont ceux qui sont radicalement orthodoxes, pas ceux qui sont de bruyants prêcheurs du compromis. Quand Elder Packer dit quelque chose qui fait grincer des dents ces prêcheurs du compromis, nous pouvons sans risque présumer qu'il fait son véritable travail de prophète.

Notes
[1] Sunstone est un magazine rédigé pour des lecteurs Moromons
[2] Brigham Young University, l'université de l'Eglise située à Provo, Utah, EUA
[3] "temperamental" en anglais; ceci pour comprendre le jeu de mots de Frère Packer qui dissocie ce mot en deux parties: "temper" et "mental"

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